lundi 31 août 2009

131 - À tous les repas pris en commun,...

À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.

4 commentaires:

  1. fr/russe
    Свобода - желанный гость за нашим столом. пусть стул остается пустым, но ее прибор - с нами.
    juliefeougier@yahoo.fr

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  2. À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.



    1-Comment je ressens cela ? Quelles images mentales me sont évoquées, apportées, provoquées par cet aphorisme de René Char ?

    Une réponse possible de LD :
    Nous voyons une scène primordiale : Cène biblique ou banquet des dieux olympiens, symposium « pris en commun » de l'idéal socialiste utopique et adelphique (fraternel). La table collective est nappée de blanc immaculé et les couverts sont mis. La place demeurée « vide » est fulgurante par la haute présence de l'absence symbolisée.

    2-Comment je comprends ce qu'a voulu dire René Char ? Mes hypothèses de sens.

    Une réponse possible de LD :
    René Char tente de nous faire ressentir l'immense bonheur d'être en accord avec ses convictions, payé au prix maximal, qu'ont éprouvé les Résistants pendant ces années de péril. Bonheur inquiet et insatisfait, mais bonheur plein, nourri notamment par la fraternité, l'amitié en acte des compagnonages dans la lutte (cette amitié que les Grecs nommaient « philia », nous dit Jean-Pierre Vernant). Lucide, le poète sait que la liberté intégrale est une déesse qui n'est pas de ce monde (puisqu'elle supposerait également le langage surhumain d'une liberté poétique intégralement accomplie et partagée), mais seul ce banquet peut, sans ridicule ni imposture, la convier et lui garder une place authentique.
    Sur cette expérience éphémère du bonheur des résistants, maints fois évoquée, nous ne pouvons que renvoyer à un magnifique et pénétrant texte de la philosophe Hannah Arendt, qui part précisément de la poésie de René Char : (voir note suivante)

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  3. Citation de Hannah Arendt10 juin 2014 à 06:43

    « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. » Voilà peut-être le plus étrange des aphorismes étrangement abrupts dans lesquels le poète René Char condensa l’essence de ce que quatre années dans la Résistance en étaient venues à signifier pour toute une génération d’écrivains et d’hommes de lettres européens. (…) Après quelques courtes années ils furent libérés de ce qu’ils avaient pensé à l’origine être un « fardeau » et rejetés dans ce qu’ils savaient maintenant être l’idiotie sans poids de leurs affaires personnelles, une fois de plus séparés du « monde de la réalité » par une épaisseur triste1, l’ « épaisseur triste » d’une vie privée axée sur rien sinon sur elle-même. (...) Ce que Char avait prévu, clairement anticipé, tandis que le combat réel durait encore — « Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor » — était arrivé. Ils avaient perdu leur trésor.
    Quel était ce trésor ? Tel qu’eux-mêmes le comprenaient, il semble qu’il ait consisté, pour ainsi dire, en deux parts étroitement liées : ils s’étaient aperçus que celui qui « a épousé la Résistance, a découvert sa vérité », qu’il cessait de se chercher « sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue », qu’il ne se soupçonnait plus lui-même d’ « insincérité», d’être « un acteur de sa vie frondeur et soupçonneux », qu’il pouvait se permettre d’ « aller nu». Dans cette nudité., dépouillés de tous les masques — de ceux que la société fait porter à ses membres aussi bien que de ceux que l’individu fabrique pour lui-même dans ses réactions psychologiques contre la société — ils avaient été visités pour la première fois dans leurs vies par une apparition de la liberté, non, certes, parce qu’ils agissaient contre la tyrannie et contre des choses pires que la tyrannie — cela était vrai pour chaque soldat des armées alliées — mais parce qu’ils étaient devenus des « challengers », qu’ils avaient pris l’initiative en main, et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître. « A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis. »
    Les hommes de la Résistance européenne n’étaient ni les premiers ni les derniers à perdre leur trésor. L’histoire des révolutions — de l’été 1776 à Philadelphie et de l’été 1789 à Paris à l’automne 1956 à Budapest —, ce qui signifie politiquement l’histoire la plus intime de l’âge moderne, pourrait être racontée sous la forme d’une parabole comme la légende d’un trésor sans âge qui, dans les circonstances les plus diverses, apparaît brusquement, à l’improviste, et disparaît de nouveau dans d’autres conditions mystérieuses, comme s’il était une fée Morgane. »2 Hannah Arendt

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  4. Source de la citation d'Hannah Arendt : Hannah ARENDT, « La crise de la culture – Huit exercices de pensée politique » (titre original : « Between past and future »), recueil de versions revues et augmentées d’articles parus dans des revues américaines entre 1954 et 1968. Traduction française sous la direction de Patrick Lévy, Gallimard 1972, édition de poche Folio-Essais. Préface du recueil par Hannah Arendt : « La brèche entre le passé et le futur », traduction française par Jacques Bontemps et Patrick Lévy, Folio Essais, pages 11 et suivantes.

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